Le livre se propose deux questions fondamentales:
1. Offrir une conception propre de l'être de l'être humain. Cette compréhension apparaît dans le concept “d'être erratique”. Thèse: l'être humain est une unité discordante entre deux faces d'une même pièce de monnaie. La première face est l'appartenance au monde (dans le sens heideggerien). Pour la deuxième face, on part de l'idée que, d'un autre côté, l'homme ne peut pas “habiter le monde” sans l'expérience de l'étrangeté, de la perplexité devant l'appartenance même à un monde de sens. Ces deux modes cooriginaires de l'être de l'homme étant réunis et devant être compris comme étant en tension, "l'être erratique" signifie que l'homme appartient à un monde dans la seule mesure où, en même temps, il s'expérimente lui-même comme expulsé ou extradité de ce monde. L'être humain existe, par conséquent, comme "l'entre" ou "l'interstice" entre, d'une part, un monde auquel il appartient et duquel il s'échappe et, d'autre part, un autre monde vers lequel il se dirige et qui n'existe pas encore. "L'être erratique" possède un sens latin péjoratif et un autre positif. En premier lieu, l'expression signifie marcher sans direction et à la dérive. En deuxième lieu, elle signifie, selon mes recherches, que l'homme se fabrique lui-même grâce à un processus que nous pourrions appeler "chaosmos": ce processus ne possède ni fondement ni objectif mais des rencontres chaotiques se produisent dans l'inter-relation de la communauté qui finissent par générer un réseau ou un rhizome au sein duquel surgit un ordre spontané et toujours renouvelé. Ce sens dernier sert pour charactériser l'homme en tant que tel. Le premier sens sert à qualifier l'homme actuel.
2. Offrir les bases théoriques pour une critique ontologique de la société contemporaine. Thèses:
2.1. Nous nous trouvons dans une "société du vide" (ce qui ne signifie pas une société nulle, improductrice).
2.2. Cette société est traversée par un mouvement vertigineux, un mouvement qui change seulement quantativement ses conditions mais qui ne modifient aucunement de manière qualitative ses présupposés ontologiques. Le mouvement est seulement apparent: "ontologisation du vide". Je l'appelle la "société stationnaire".
2.3. Dans cette société (et sa compréhension du monde), le meilleur de l'être erratique de l'homme est annulé. La conséquence est la substitution de l'être par sa représentation. J'appelle cela la "fictionnalisation du monde". La fictionnalisation du monde est la catégorie générale qui décrit la "maladie de civilisation" fondamentale de notre époque. Tout au long du livre je clarifie les manifestations de cette maladie "ontologique".
Ces deux horizons du livre sont justifiés dans la partie I, chapitres 1 et 2.
La justification à laquelle je me réfère implique cependant une discussion avec Heidegger, pour qui l'errance était seulement l'expression d'une décadence. Dans la partie II je réalise une critique "avec et au-delà d'Heidegger". Thèse fondamentale, formulée de manière simplifiée (cette partie est très intense depuis un point de vue philosophique): Heidegger comprend le devenir de l'être comme le changement de "refuges". Pourtant, le devenir humain (au-delà d'Heidegger) consiste à être "entre" les refuges et donc renvoie à une existence de transition exposée à l'intempérie. Sur ce point, j'essaie d'opposer au modèle heideggerien un modèle hispanique: celui que l'on retrouve dans la figure de Don Quijote de la Manche.
Dans la partie III, après la confrontation avec Heidegger qui se termine par une justification philosophique de la notion "d'être erratique", le livre cherche à approfondir la caractérisation de l'homme comme être erratique (en établissant différentes dimensions du mode selon lequel il "est" ou il "arrive"):
1. Dans le chapitre 6 je cherche à montrer qu'à l'existence de l'homme correspond unitairement (et, à nouveau, comme deux faces d'une pièce de monnaie) la "compréhension" et "l'action". Dans cette ligne d'idée, il fut nécessaire d'essayer de rebaser simultanément "l'ontologie du sens" (phénoménologie et Heidegger) et "l'ontologie de la force" (Nietzsche et une partie du post-structuralisme). J'ai recourt, au-delà de Nietzsche et Heidegger, à la tradition barroque espagnole (Gracián par exemple), tout en introduisant ma propre conception grâce au concept de "force-sens", et je démontre pourquoi nous nous trouvons aujourd'hui dans une époque néobarroque.
2. Dans le chapitre 7 je présente une conception personnelle de la relation homme-monde. Selon cette conception, la relation existe entre l'homme comme "l'étrangeté en état naissant" et le monde comme "réalité problème". De tout cela j'extrais une vision personnelle de la genèse de "l'être-en-communauté" (la nécessité de "partager l'événement").
3. Dans le chapitre 8 je cherche à montrer qu'une "folie" productrice qui traverse la raison est consubstantielle à l'homme. Je mets cela de l'avant contre Heidegger et contre Derrida.
Dans la partie IV, il s'agit d'analyser la relation entre la dimension pré-réflexive de l'existence humaine et la dimension réflexive et de cette manière aborder des problèmes relatifs à la question de la normativité. Ici, l'essentiel est:
1. Me situer au-delà d'Habermas et Apel (chapitre 9.2).
2. Avoir recourt à Kant en le transformant (en l'ontologisant). J'initie ce parcours avec ses thèses d'Éthique et dialogue et j'essaie de les approfondir. Le nouvel impératif catégorique est appellé ici "principe zénithal" (chapitre 9.3-9.5, cette question ayant été annoncée au chapitre 8).
3. Comprendre la pensée comme un lien entre le pré-réflexif et le réflexif, entre compréhension et augere (agir en augmentant). Pour cela j'ai recourt à la tradition barroque espagnole et, à ma manière, j'identifie pensée et ingéniosité (chapitre 9).
4. Offrir les critères pour une critique de la société stationnaire et de la fictionnalisation du monde. Ces crirtères sont négatifs (chapitre 10).
Le livre a fait l'objet de séminaire au Mexique et dans divers pays d'Amérique latine et on m'a expressément invité à parler à son sujet.
(Trad.: Johnatan Martineau) |